Manager dans le monde de la culture : des formations spécifiques
Publié le 18/06/2023
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Publié le 18/06/2023
Que ce soit dans la manière dont ses marchés sont structurés, ou dans la façon dont la créativité nourrit les modes de fonctionnement, les industries culturelles ne tournent comme aucune autre. Elles demandent donc un enseignement spécifique.
« L’art est là pour nourrir l’âme et élever l’esprit. Depuis toujours, j’ai besoin d’être entourée d’art et de le consommer sous toutes ses formes. » La phrase de Lucie Carette (PGE 13) renferme en elle-même la quintessence de la spécificité du secteur culturel : les œuvres d’art, tous domaines confondus, restent des produits, des objets de consommation, mais consommation pour l’esprit.
Pas étonnant dans ce cas que l’industrie culturelle soit à part, y compris dans les emplois qu’on y trouve ; une particularité bien comprise au sein de NEOMA BS, qui prépare ses étudiants à intégrer ce secteur en favorisant leur polyvalence, leur capacité d’analyse, et leur compréhension en profondeur des différents arts comme des débats de société.
Cela pourrait ressembler à une évidence, mais on ne travaille pas dans les industries culturelles et créatives (ICC) par hasard. Il faut pour cela une forte dose de passion. Comme celle de Lucie Carette, directrice de la Villa Albertine à Los Angeles et attachée audiovisuelle au consulat général de France, qui a « toujours eu cette appétence pour la culture » et pour qui faire carrière dans les ICC tient de « l’évidence. »
Directrice des publics au musée du quai Branly – Jacques Chirac à Paris, Isabelle Rouls (PGE 90) est arrivée dans le secteur culturel après quinze années passées en marketing dans d’autres champs d’activité. Pas d’évidence immédiate pour elle, mais une envie : « Faire de la relation client dans un secteur qui ait du sens, et avec une dimension sociétale. » « Quand on vient travailler dans des industries culturelles, on y vient par passion », affirme encore Valentin Crépain (PGE 18).
Coordinateur de studio auprès de l’artiste JR, connu notamment pour ses collages photographiques, il évoque aussi « cette sensation de créer quelque chose qui nous dépasse, et qui touche les gens personnellement », et qui dépasse donc la seule logique marchande. Il s’agissait sans doute de la raison pour laquelle il y a quinze ans, lors de sa première prise de poste dans le secteur culturel, Isabelle Rouls a eu l’impression que «la notion de marketing dans la culture n’était pas forcément très bien vue. »
Ce phénomène, Sébastien Dubois en a bien conscience. À NEOMA BS, c’est lui qui a façonné et qui dirige le master « Creative and cultural industries», dont les cours (en anglais) dispensent les notions capitales pour bien préparer les étudiants à leur entrée sur ce marché à part. En particulier, le professeur explique que « les biens culturels sont spécifiques par rapport à d’autres biens, car ils sont sujets à une double évaluation de leur valeur: artistique et économique. Les deux ne coïncident pas toujours. »
Même si Isabelle Rouls admet qu’en « quinze ans, les choses ont évolué [et que] maintenant, tout le monde fait de la gestion de relation client », les ICC s’organisent aussi autour de cette dualité. Elle est notamment mise en évidence dans le secteur de l’édition, ainsi que l’explique Salomé Sanchez (PGE 14), contrôleuse de gestion chargée des droits d’auteurs aux éditions du Seuil. « L’édition est une industrie culturelle qui n’a pas pour unique vocation d’être rentable. Certains livres vont générer de fortes ventes et vont donc permettre d’éditer des livres à plus petits tirages. Il y a tout un équilibre à trouver entre les livres populaires et d’autres qui sont par exemple pour des publics universitaires. »
Les équilibres budgétaires sont d’autant plus difficiles à trouver que «la protection des œuvres littéraires et artistiques et la rémunération de leur exploitation impliquent le respect d’un dispositif juridique bien spécifique, le droit d’auteur », ajoute Salomé Sanchez. Même si ces règles sont nécessaires, elles complexifient encore un peu plus les questions d’argent dans la culture. D’ailleurs, « on peut faire carrière dans la culture, mais on ne fera pas des gains financiers énormes, ce n’est pas la motivation première », met en garde Isabelle Rouls.
Reste qu’en matière d’argent, la dualité propre au secteur continue de se faire sentir. Lucie Carette évoque par exemple l’audiovisuel qui « est un paysage très éclaté avec beaucoup de petites structures », capables pour autant de coexister avec des mastodontes comme Disney ou Netflix.
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De la même manière, dans un secteur artistique, deux marchés peuvent coexister, avec des logiques commerciales différentes. Ainsi, au sujet de l’audiovisuel toujours, Lucie Carette évoque la différence entre les États-Unis et la France : « Aux États-Unis, il n’y a que des financements privés, donc un besoin de retour sur investissement. En France et en Europe, l’industrie est à l’inverse largement subventionnée par l’État, ce qui permet une diversité et une pluralité plus grandes parce que tout ce qui est produit n’est pas soumis uniquement à la loi du marché. Cela crée une différence fondamentale !»
Qui dit financement public dit utilité publique, ce qui est le cas de plus d’une structure du secteur culturel, comme en témoigne Isabelle Rouls dont le rôle consiste à « trouver des moyens pour “faire venir”, structurer l’offre pour la rendre lisible pour les publics et garantir une expérience visiteur de grande qualité à tous les publics. » Ainsi, dans un musée tel que le musée du quai Branly – Jacques Chirac, « l’une des parties les plus importantes de notre travail en termes de service public, c’est tout ce qui est fait avec les scolaires. Généralement, la venue au musée se fait adulte, car l’habitude a été prise enfant. Il y a aussi les actions à l’attention des publics empêchés ou éloignés de l’offre culturelle, notamment pour des raisons sociologiques », souligne-t-elle.
Pour répondre à l’enjeu de consommation aussi bien qu’à l’enjeu public, les institutions comme les musées ou les opéras doivent pouvoir s’adapter à leur audience. Jacqueline Siye Wang (MSc AM 14), en charge des relations avec l’Europe au sein du département des échanges artistiques internationaux du Centre national des arts du spectacle à Pékin, en témoigne. « Chaque marché aura une audience différente.
À mon poste je dois avoir des notions du marché mondial, et comprendre ce qu’aiment les audiences des salles européennes, pourquoi le public aime tel ou tel compositeur, et les raisons des choix de programmation. En particulier, les différents opéras ont également un devoir envers les enfants, et nous devons trouver un moyen de communiquer avec eux de la même façon que nous devons communiquer avec les autres institutions. »
Savoir communiquer avec les autres structures est la clé pour pouvoir mettre en place des partenariats internationaux qui conviennent à tous les publics. Pour cela, Jacqueline Siye a dû elle-même élargir ses horizons, ce qu’elle a appris à NEOMA. « J’avais mes compositeurs et mes opéras préférés, mais mes professeurs m’ont encouragée à m’ouvrir à autre chose », une autre culture pour ainsi dire, et à travers ça, à être plus polyvalente, ce qui lui sert au quotidien. « La culture est un secteur très complet. Pour un opéra, je peux être amenée à communiquer avec les chanteurs, les choristes, les personnes qui travaillent sur le décor, les services d’État… »
Cette capacité à dialoguer avec tous les acteurs d’une même chaîne, Jean de Rivières (PGE 94) la valorise également à son poste de producteur exécutif et vice-président senior du développement chez Ubisoft. « On nous confie la mission de développer des films, des séries, des parcs d’attractions, dans les univers des franchises des jeux vidéo Ubisoft. J’ai des experts autour de moi, et quand il s’agit de mettre tout ça en musique, je suis à l’aise grâce à ma formation en business généraliste », assure-t-il.
Les étudiants de NEOMA d’aujourd’hui ont la chance de se voir enseigner cette même polyvalence généraliste, tout en bénéficiant d’une étude en profondeur des différents secteurs artistiques. « On avait des cours sur toutes les différentes industries culturelles, que ce soit le spectacle vivant, l’art pictural, l’industrie cinématographique et l’édition, ce qui était très bien. Par exemple, quand on veut travailler dans l’audiovisuel, on peut se demander à quoi des connaissances dans l’édition peuvent servir, mais ce sera très utile pour tout ce qui concerne les adaptations de bouquin », illustre Hugo Morata (PGE18), responsable pédagogique et commercial chez The Media Faculty.
La polyvalence de la formation est aussi utile à Valentin Crépain au quotidien. «Je travaille pour un artiste pluridisciplinaire, et la variété des secteurs d’activités avec lesquels j’ai été confronté lors de mon Master m’aide tous les jours. Je travaille sur deux films réalisés par JR, et le cours d’industrie du film m’aide beaucoup. Mes cours de spectacle vivant m’aident sur la gestion de projet et les installations de JR à travers le monde… Je retrouve quasiment chacune des matières! », s’enthousiasme le coordinateur de studio.
«Pour travailler dans les ICC, il est capital de comprendre les particularités des biens et des marchés culturels, ce qui veut dire avoir une excellente culture générale sur l’histoire de l’art, les mouvements esthétiques et artistiques, passés et contemporains, pour analyser et comprendre ce qui fait le succès ou l’échec de tel produit culturel, confirme Sébastien Dubois.
Comme le Master est centré sur les arts, nous essayons d’expliquer comment fonctionnent les champs artistiques, et de donner aux étudiants des exemples dans tous les secteurs, passés ou présents, des impressionnistes au cinéma indépendant en passant par le rap.» L’objectif est donc à la fois la polyvalence, mais aussi un certain niveau de technicité. Le meilleur moyen pour atteindre ce double objectif est de faire intervenir des professionnels du secteur.
Lucie Carette a par exemple assuré des interventions à NEOMA de 2017 à 2019. « Je donnais un cours sur le financement du cinéma, par les dispositifs et aides publiques à la création. Quand j’étais sur les bancs de l’école, je trouvais les échanges et rencontres avec les professionnels inspirants pour voir l’éventail de métiers possibles. C’est important de jouer ce rôle de témoin », affirme-t-elle.
Comme Lucie Carette avant lui, Hugo Morata a apprécié les interventions des professionnels, et notamment celle de Yarone Maman (PGE 10), aujourd’hui directeur du développement de France.tv Studio : «En une semaine, il nous a appris à faire une série par petits groupes avec un mélange de théorie et de pratique très bien équilibré. Ça a créé pour moi un intérêt très puissant et motivant pour l’industrie audiovisuelle. Moi qui pensais m’orienter vers le marché de l’art, il m’a fait changer mon fusil d’épaule, et je me suis dit que j’allais peut-être faire de la production.» Aujourd’hui, en plus de ses fonctions chez The Media Faculty, Hugo a d’ailleurs créé une société de production qui a porté un court-métrage au Nikon film festival.
« Les outils essentiels du management, les étudiants les maîtrisent quand ils arrivent dans mon Master de spécialisation, précise encore Sébastien Dubois. Il faut leur donner les compétences nécessaires à travailler dans la culture, compétences techniques comme faire un budget pour un film ou un festival, mais aussi leur apprendre à s’intégrer dans le monde de la culture, trouver un boulot, développer leur carrière… Les secteurs culturels ont leurs propres modes d’organisation sociale et de recrutement; on ne passe pas par les voies habituelles de recrutement, mais par des canaux spéciaux, par exemple le site profilculture.com. Il faut être plus proactif, bien utiliser les réseaux sociaux », et se montrer rigoureux, ajouterait Hugo Morata.
Pour lui, les deux clés de la réussite dans les ICC sont «la connaissance du secteur: il faut être très bon sur son segment», et «la rigueur, ligne de démarcation entre les personnes qui réussissent rapidement dans ce secteur et les autres.»
Pour Jean de Rivières, une autre clé de réussite professionnelle dans les ICC est la capacité à « comprendre les phénomènes d’écho. Pour faire marcher un film, il faut créer un débat de société, il faut que le film soit prétexte à une discussion plus globale.» Cela aussi, Sébastien Dubois le comprend bien et cherche à l’intégrer dans le cursus du master ICC.
« Les industries culturelles sont des marchés très mondialisés, qui portent en même temps une identité culturelle vitale pour une société. On touche nécessairement aux questions sociales et donc politiques, donc les étudiants doivent avoir une capacité d’analyse assez profonde. La conséquence pédagogique, c’est que je leur demande un certain nombre d’essais pour montrer qu’ils peuvent construire un discours argumenté et informé sur une question complexe.»
Cette notion est valable aussi bien pour le thème d’une œuvre que pour la compréhension du secteur en lui-même. «C’est un fantastique moment pour rentrer dans le secteur, s’enthousiasme d’ailleurs Jean de Rivières. On n’a jamais eu autant envie de culture et elle n’a jamais été aussi accessible.» Et d’évoquer pêle-mêle les podcasts, les séries (qui fonctionnent toujours aussi bien) ou encore la création de nouveaux espaces physiques pour donner un nouvel écho à une œuvre. Il sait de quoi il parle, lui qui doit développer par exemple des parcs d’attractions en rapport avec les univers d’Ubisoft.
Sur ce point aussi, les ICC fonctionnent en échos avec la société, puisque les évolutions que connaît cette dernière vont forcément avoir une incidence sur la création artistique. Ainsi, l’impact de la pandémie sur la fréquentation des salles de cinéma pose encore question aujourd’hui. « Si les gens ne retournent pas en salle, on ne peut pas financer les mêmes films. La question qui se pose aujourd’hui est donc celle de nouveaux business modèles », analyse par exemple Lucie Carette.
Preuve en même temps que le secteur est riche en opportunités, et une fois encore de cette dualité des biens culturels, à la croisée des chemins entre des biens de consommation, et de la nourriture pour l’âme.
Article paru dans le magazine des Alumni n°33