Evaluation des performances : l’illusion de l’égalité ?
Publié le 7/03/2022
Evaluation des performances : l’illusion de l’égalité ?
Publié le 7/03/2022
L’évaluation des performances individuelles est une pratique classique qui existe dans un grand nombre d’organisation. Elle est censée garantir une égalité de traitement entre individus à travers l’établissement, le plus souvent, d’un management par objectifs. Dans quelle mesure l’évaluation des performances peut-elle servir l’égalité professionnelle ?
Dans un chapitre d’ouvrage co-écrit avec Claire Dambrin (ESCP Business School), Pierre Lescoat, professeur à NEOMA prend pour exemple les grandes banques d’affaires et pointe la difficulté d’assurer une égalité de traitement dans un environnement masculin.
La division sexuelle du travail et la conciliation vie professionnelle-vie privée sont souvent présentées comme les causes principales des inégalités entre femmes et hommes dans le monde du travail. Cependant, les outils de management utilisés dans les entreprises dont les systèmes d’évaluation des performances, sont à prendre en compte dans l’analyse de ces iniquités.
Les systèmes d’évaluation de la performance ont souvent l’ambition de mesurer les performances individuelles, en comparant des résultats chiffrés à des normes préalablement établies. La performance de l’individu est ainsi mesurée en fonction de l’atteinte d’objectifs chiffrés financiers (profit, rentabilité…) et non financiers (respect des délais, satisfaction client…). Puisque basé sur des chiffres et sur des règles du jeu identiques pour tou-t-e-s (les objectifs) le système est censé limiter la subjectivité des managers, et être juste et méritocratique.
Mais, si l’intention est là, la construction du système, c’est-à-dire le choix des critères que l’on va chiffrer, revient parfois à institutionnaliser des normes discutables du point de vue de l’égalité de traitement, notamment entre femmes et hommes.
Certains systèmes d’évaluation en apparence neutres sont en fait genrés et peuvent potentiellement limiter l’accès des femmes aux postes de pouvoir.
Dans l’étude menée, le système d’évaluation des traders comporte une partie d’objectifs collectifs, notamment financiers. Cela rend impossible de distinguer par la mesure la contribution individuelle au profit. Et empêche ainsi les employés de se référer aux normes. Il devient difficile dans cette situation de se défendre contre un manager paternaliste qui cantonnera l’évaluation de la collaboratrice à celle de sa personnalité. Et là sévissent les stéréotypes : des comportements comme la combativité seront jugés positifs chez les hommes, mais pas chez les femmes.
Les métiers les plus lucratifs du secteur financier recrutent encore majoritairement en grandes écoles d’ingénieurs, où seulement 20% des diplômés sont des femmes (2016). Le sexisme hostile qui avait cours à l’école se reproduit en salle des marchés.
Selon les enquêtés, au Royaume Uni, les procès pour harcèlement et discriminations sexuelles sont nombreux. Et sont souvent gagnés par les plaignantes ! Effet pervers : en salles des marchés, la femme n’est plus seulement considérée comme un objet sexuel mais aussi comme un risque juridique…
Le concept de « disponibilité totale », c’est-à-dire joignable à tout moment, sévit aussi au sein des banques. Avec à la clé des bonus et des carrières. Dès lors, comment assumer une vie de famille ou une grossesse, qui peuvent être vues comme un retrait de la compétition existant en salle de marché ? Cette norme de disponibilité totale ne dessert pas uniquement les femmes dans leur progression professionnelle mais aussi dans une certaine mesure, les hommes. Certains managers hommes ne parlent pas de leur vie familiale de peur d’être jugés par leurs pairs comme désinvestis.
On voit au travers de ces quelques exemples que la route vers l’égalité est encore longue. La mise en évidence par les chercheurs de la dimension genrée de l’évaluation des performances individuelles est un pas de plus vers l’égalité professionnelle.
« Dé-neutraliser l’évaluation de la performance. Les illusions de l’« objectivité » et de la « méritocratie » en salles de marché » Pierre Lescoat (NEOMA Business School) et Claire Dambrin (ESCP Business School)