Plus on parle d’éthique, plus on la propage
Publié le 10/01/2024
Plus on parle d’éthique, plus on la propage
Publié le 10/01/2024
Nous considérons en général que l’éthique va de pair avec la discrétion : on agit au nom de valeurs, mais on ne l’affiche pas. Une posture que trois chercheurs, dont Dongkyu Kim de NEOMA, remettent en cause dans le monde du travail : selon eux, les prises de parole de managers exemplaires incitent leurs pairs à s’engager dans cette voie.
Pas facile, au sein d’une entreprise, de lancer une conversation sur un sujet éthique. Des études montrent que les salariés considèrent l’exercice comme risqué, et évitent de donner leur avis sur ce qu’ils observent dans leur société.
Ils y sont d’autant plus enclins que notre morale associe vertu et discrétion : un individu qui affiche ostensiblement son engagement éthique et ses valeurs risque de se décrédibiliser.
L’article des trois chercheurs apporte un double démenti à ces constats. Non, il n’est pas risqué de parler d’éthique au sein d’une organisation ; non, vertu et discrétion ne font pas forcément bon ménage. Au contraire : un leader qui affiche ses convictions encourage ses pairs à se comporter à leur tour en managers éthiques. Il leur transmet de la confiance et de la motivation. Il peut aussi incarner un rôle-modèle : celui qu’on observe, qu’on admire et qu’on veut imiter.
L’étude n’a pas été menée auprès de salariés d’entreprise, mais de 316 membres de l’armée sud-coréenne issus de 24 régiments. Pourquoi ce choix ? Parce qu’il est établi que des militaires de même grade entretiennent des liens forts de camaraderie et à l’inverse, marquent une forte distance sociale vis-à-vis de leurs subordonnés et de leurs supérieurs. Un contexte propice à l’observation de processus de mimétisme entre pairs.
Ce processus commence par les prises de parole des managers considérés comme exemplaires. Ils donnent des conseils et des instructions, et encouragent les comportements qu’ils jugent vertueux. Ils expriment leur opinion, positive ou négative, sur les événements dont ils sont témoins, et les décryptent sous l’angle de l’éthique. Ils s’inquiètent de ce qui leur semble inapproprié et rappellent les règles à respecter. Ils questionnent certaines habitudes bien installées et proposent des solutions, etc.
Le fait qu’émetteurs et destinataires partagent le même rang social et la même perception des choses rend ces discours encore plus efficaces. Sur ce point, les managers qui s’adressent à leurs pairs disposent donc d’un avantage par rapport à leurs supérieurs ; même si de nombreuses études ont montré par ailleurs que les prises de parole éthiques venues d’en haut produisaient aussi des effets.
Quels sont les mécanismes qui vont « convertir » les propos des managers exemplaires en comportements éthiques chez leurs pairs ? Les chercheurs en dénombrent deux.
Ils désignent le premier sous le terme « d’efficacité morale » : ces pairs se sentent encouragés à agir de façon vertueuse. Ils se forgent des convictions. Ils prennent confiance en eux et en leurs capacités. Ils acquièrent les ressources psychologiques et la motivation qui leur permettront de se comporter de manière éthique, voire de prendre des initiatives. Y compris lorsqu’ils seront confrontés à des situations extrêmes, où il est plus difficile de rester fidèle à ses valeurs.
Second mécanisme : l’aptitude des managers éthiques à incarner des « rôles-modèles », des figures que leurs pairs ont envie d’imiter. Il s’agit, par exemple, d’un manager qui exprime ouvertement son désaccord quand des activités douteuses sont mises à jour, ou qui formule des propositions pour renforcer des démarches éthiques.
Ces rôles-modèles ont une influence importante. Si un manager éthique incarne fortement cette figure, il incitera significativement ses pairs à devenir des managers éthiques. Dans le cas contraire, il aura un effet d’entraînement bien plus limité.
Mais leur perception est subjective, donc variable d’un individu à l’autre. Et les managers exemplaires peuvent difficilement être irréprochables en toutes circonstances : certains pairs pourront être témoins de comportements moins fidèles à l’éthique, ou en observer plus rarement que leurs collègues.
Cette dimension de rôle-modèle n’en reste pas moins un puissant levier. Quand un manager voit l’un de ses collègues agir de manière éthique et en être récompensé, il est incité à l’imiter. Car il identifie les attentes de son organisation et ses réactions aux postures éthiques à travers le comportement de ce collègue ; et plus seulement en fonction de sa propre expérience.
Cette étude est instructive à plusieurs titres. D’abord, elle montre qu’en matière d’éthique, l’exemple et l’inspiration ne viennent pas seulement d’en haut ; il existe aussi un effet horizontal de contagion vertueuse.
Second enseignement : parler d’éthique est non seulement permis, mais recommandé. Certes, il reste nécessaire d’agir en respectant des valeurs, pour garantir la cohérence entre intentions et réalité. Mais la « mise en mots », le décryptage verbal de ces actes augmente fortement la vitesse d’apprentissage et le développement des comportements souhaités.
Les auteurs conseillent aux organisations de créer des environnements de travail dans lesquels les salariés se sentent autorisés à parler librement d’éthique. Elles peuvent aussi encourager ouvertement les comportements qu’elles estiment souhaitables, à travers des prises de position explicites de leurs managers. Ainsi, les valeurs à promouvoir seront mieux partagées et davantage mises en application.
Kim, D. Choi & S.Y. Son, Does Ethical Voice Matter? Examining How Peer Team Leader Ethical Voice and Role Modeling Relate to Ethical Leadership, Journal of Business Ethics, 2023. doi.org/10.1007/s10551-023-05477-y