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Le Monde de NEOMA

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Quand on est déçu par les performances des actions que l’on détient, faut-il les vendre ou les conserver ? La majorité des investisseurs optent pour la première solution. Or, trois chercheurs, dont Eser Arisoy de NEOMA, démontrent que plus une action a déçu, plus elle enregistre ensuite de bons résultats ! Une « prime de regret » confirmée par une analyse des cours de Bourse sur près de 60 ans et par l’étude des transactions réelles de 78 000 ménages américains entre 1991 et 1996.

Les psychologues décrivent le regret comme une émotion négative, associant douleur et colère, ressentie lorsqu’on constate qu’une autre décision aurait eu de meilleurs effets. En Bourse, c’est le lot de tous les investisseurs : la valse des cours, à la hausse ou à la baisse, est un jeu où l’on ne gagne pas à tous les coups.

Une « prime de regret » que personne ne connaissait

À ce titre, plusieurs études ont été consacrées à l’impact du regret sur le comportement des investisseurs. Elles ont montré par exemple que ces derniers éprouvent plus de regrets à garder trop longtemps un actif qui se déprécie, qu’à vendre trop tôt un actif qui se valorise ; ou que leurs regrets naissent aussi de comparaisons entre les actions qu’ils détiennent et celles qu’ils auraient pu acheter.

En revanche, personne ne s’était encore penché sur le lien entre regrets des investisseurs et performances de leur portefeuille. C’est ce qui rend cette étude captivante, d’autant qu’elle livre un enseignement contre-intuitif : plus des actifs ont suscité des regrets, plus leurs performances ultérieures sont bonnes ! Il existe donc une « prime de regret ».

Quel écart entre mes actions et les plus performantes de leur catégorie ?

Mais comment mesurer l’émotion ressentie par l’investisseur de manière objective ? Les auteurs choisissent de se baser sur des comparaisons. Ils quantifient le regret en calculant la différence de gains ou de pertes, sur un mois, entre une action détenue par un investisseur et celle du même secteur d’activité qui a réalisé le meilleur score sur cette période.

Par exemple, l’investisseur possède une action d’un constructeur de PC qui gagne 2 % en un mois. Si le constructeur de PC le plus performant progresse de 3 %, le regret a une valeur de 1 (3 % – 2 %) ; mais s’il bondit de 15 %, le regret a une valeur de 13. Il est faible dans le premier cas, élevé dans le second.

Plus l’action suscite des regrets, plus on l’achète à bas prix

Pourquoi se limiter à un seul secteur industriel ? Parce que les investisseurs, notamment les particuliers, ne suivent pas l’ensemble d’un marché : ils se focalisent sur un nombre limité de secteurs industriels et de sociétés. C’est dans ce périmètre restreint qu’ils font des comparaisons et identifient leurs actions à « faible regret » et à « fort regret ».

Cet étalonnage est déterminant. Car les investisseurs, peu désireux de subir une déception, se détournent des actions « fort regret » pour investir dans celles « faible regret ». Les premières s’achètent donc à bas prix, ce qui augmentera d’autant les futures plus-values ; c’est la fameuse prime. Les secondes, très demandées, deviennent plus chères, ce qui réduit leur potentiel de hausse.

Prime de regret et prime de risque : à ne pas confondre

Bien entendu, les auteurs se sont assurés que la prime de regret n’avait rien à voir avec la prime de risque, bien connue des boursiers : plus une action est considérée comme risquée, plus elle est susceptible d’obtenir un rendement élevé (ou de fortes pertes). Des vérifications mathématiques menées sur des portefeuilles-types ont révélé qu’il s’agit de phénomènes distincts : la prime de regret existe quel que soit le niveau de risque des actions.

De même, elle n’est pas le fruit d’un banal effet de rattrapage. Car on pourrait penser qu’une action à la traîne par rapport à d’autres du même secteur industriel finit par combler son retard. Or, la prime de regret persiste en déduisant mathématiquement l’impact de ce mécanisme de rattrapage.

Le niveau de regret prédit les performances futures

Autre explication possible : la prime de regret refléterait la peur de perdre des investisseurs. Elle serait alors plus élevée quand l’investisseur voit ses actions baisser plus que les autres, que lorsque celles-ci progressent (mais moins que les autres). Ce n’est pas le cas : les deux situations (perte ou gain) génèrent une prime de regret quasi équivalente.

Pour vérifier si leur théorie n’était pas liée à d’autres facteurs (type d’industrie, localisation des sociétés, état des marchés boursiers, cycles économiques, etc.), les auteurs ont analysé les transactions boursières de 78 000 ménages américains, entre 1991 et 1996. Verdict : le niveau de regret des investisseurs prédit toujours avec une forte fiabilité les performances futures, sur une période jusqu’à cinq mois, quelle que soit l’évolution de ces facteurs.

Prime plus élevée pour les petites sociétés récentes

Ceux qui voudraient exploiter cette découverte pour viser des primes de regret élevées apprendront avec intérêt qu’ils doivent privilégier les actions de petites sociétés récentes, peu suivies par les analystes et rarement détenues par les investisseurs institutionnels.

À l’inverse, les actions de grandes entreprises créées de longue date, très observées par les analystes et bien présentes dans les portefeuilles institutionnels, génèrent des primes de regret plus modestes. Logique : l’information sur ces sociétés est aisément accessible, donc immédiatement incorporée dans les cours. On ne peut pas en attendre des merveilles.

Attention : la prime de regret n’est pas une nouvelle martingale pour gagner en Bourse. Les auteurs rappellent qu’une action « fort regret » commence par sous-performer avant de briller. Son bilan global n’est donc pas si brillant, sauf à acheter après la période décevante. De plus, les actions de petites sociétés récentes attirent peu d’investisseurs : celui qui en détient n’est pas certain, le jour venu, de pouvoir les vendre au meilleur prix…

En savoir plus

  1. E. Arisoy, T. G. Bali et Y. Tang, Investor Regret and Stock Returns, Management Science, janvier 2024. https://doi.org/10.1287/mnsc.2022.03389