Pourquoi les multinationales ne parviennent pas toujours à s’adapter localement
Publié le 29/11/2021
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Publié le 29/11/2021
Lorsqu’elles s’installent sur un marché extérieur, les multinationales étrangères peuvent souvent être désavantagées par rapport aux sociétés locales. Par exemple, elles sont confrontées à des difficultés supplémentaires liées à la nécessité de transférer leurs pratiques de gestion et de rémunération vers de nouveaux environnements culturels, et de les adapter. Des recherches précédentes suggèrent qu’en empruntant et en associant des pratiques que les entreprises locales utilisent – des pratiques connues pour être conformes aux normes culturelles locales – les multinationales peuvent surmonter leur handicap. Toutefois, de nouvelles études montrent pourquoi, dans certains cas, l’adaptation des multinationales s’avère inefficace. Pour quelles raisons les multinationales étrangères, qui adoptent des pratiques de rémunération similaires à celles des entreprises locales et correspondant aux normes culturelles françaises, sont quand même désavantagées ? Une connaissance approfondie de l’environnement local pourrait-elle aider les multinationales à prendre des décisions plus stratégiques en matière de politiques d’adaptation ?
Nishani Bourmault (NEOMA, France) et son coauteur, Jordan Siegel (Université du Michigan, États-Unis) ont utilisé les données d’enquêtes longitudinales issues du ministère français du Travail et de 50 entretiens détaillés d’employés travaillant en France afin d’analyser pourquoi les normes culturelles du pays d’origine de la multinationale – et particulièrement son engagement en faveur de l’égalitarisme – facilitent ou non la mise en place des bonus collectifs en France.
L’article ci-dessous a initialement été publié en anglais dans le blog du Journal of Management Studies : “Why Adopting Local Practices Doesn’t Always Help MNEs Overcome their Liability of Foreignness”, by Nishani Bourmault, Jordan Siegel | Oct 14, 2021 | Management Insights.
De nombreuses multinationales installées sur un marché extérieur sont confrontées à un handicap – le désavantage d’être une société étrangère – face aux entreprises similaires locales. Ce handicap est souvent lié aux difficultés supplémentaires qui surviennent lorsque les bonnes pratiques du pays d’origine sont adaptées et transférées dans des environnements méconnus. C’est le cas, par exemple, des méthodes de gestion ou des pratiques de rémunération. D’un point de vue général, des recherches suggèrent que lorsque c’est possible, les multinationales peuvent surmonter leur désavantage d’être une société étrangère en adoptant et en utilisant des pratiques similaires à celles des sociétés locales – des pratiques conformes aux normes culturelles locales. Cette manière d’agir contribue à éviter les questions de légitimité liées à leur statut d’étranger, et les aide aussi à attirer, fidéliser et motiver les employés locaux qui ont intégré les normes culturelles locales.
Toutefois, dans notre recherche publiée dans le Journal of Management Studies, nous remettons en cause l’hypothèse selon laquelle ces multinationales réussissent à surmonter le désavantage d’être étranger en imitant les pratiques des entreprises locales. Se basant sur la notion que les facteurs contextuels peuvent considérablement influencer la réussite ou l’échec des pratiques formelles adoptées, nous explorons dans notre article pourquoi l’adaptation locale s’avère parfois inefficace pour les multinationales étrangères.
Nous nous sommes attachés à comprendre quel est l’intérêt d’utiliser des bonus collectifs, autant pour les multinationales étrangères que françaises, dans le contexte culturel de la France où le souci de l’égalité dans la distribution des richesses et des avantages est profondément ancré dans la société. En utilisant les données d’enquêtes longitudinales issues du ministère français du Travail qui étudie les pratiques professionnelles des entreprises en France, nous constatons que, comme prévu, les bonus collectifs sont plus efficaces que les bonus individuels dans la culture ultra-égalitaire de la France. Toutefois, les multinationales étrangères installées dans l’hexagone, particulièrement celles originaires de pays où l’engagement égalitaire est moins valorisé, bénéficient nettement moins que les multinationales françaises de l’instauration de bonus collectifs.
Alors, pour quelles raisons les multinationales qui adoptent des pratiques de rémunération similaires aux sociétés françaises locales et correspondant aux normes culturelles françaises sont quand même désavantagées ?
En se basant sur 50 entretiens détaillés de managers et d’employés travaillant en France, nous analysons pourquoi l’engagement en faveur de l’égalitarisme du pays d’origine de la multinationale facilite ou non la mise en place des bonus collectifs en France. De manière générale, nous constatons que l’adaptation locale génère de moindres performances pour les multinationales étrangères (par rapport aux entreprises locales similaires). Dans de nombreux cas, ces sous-performances résultent d’un conflit entre les conditions informelles qui suscitent la réussite d’une pratique donnée et la culture du pays d’origine de la multinationale, un composant fondamental de ses connaissances tacites.
Premièrement, quand une multinationale est originaire d’un pays où l’égalité est moins valorisée, elle aura plus de mal à préserver un environnement égalitaire cohérent. Elle aura tendance à générer des contradictions entre l’adoption subsidiaire d’une pratique égalitaire (bonus collectifs) et une mentalité qui, dans l’ensemble, n’est pas égalitaire (les remarques et les actions des cadres dirigeants, et les symboles qu’ils emploient). Deuxièmement, ces multinationales ont plus de mal à maintenir un environnement social calme et uni dans un pays fortement égalitaire. Cette situation devient alors problématique, les bonus collectifs fonctionnant généralement mieux dans des cadres où les employés se sentent solidaires.
En résumé, notre étude suggère que l’adoption formelle de pratiques locales ne suffit pas toujours : leur efficacité peut être fortement affectée par les pratiques informelles. Par ailleurs, nos conclusions permettent de démontrer que la culture du pays d’origine de la multinationale peut influer la manière dont elle se comporte dans les marchés étrangers. Même quand les filiales des multinationales étrangères adoptent des pratiques similaires à celles des entreprises locales, elles risquent de transférer subtilement les pratiques culturelles de leur pays d’origine (plus précisément l’engagement égalitaire du pays d’origine). En d’autres mots, elles transfèrent des normes informelles et évasives (par ex. les attitudes non égalitaires des cadres dirigeants) qui peuvent s’avérer problématiques.
De manière générale, nos conclusions suggèrent qu’une connaissance plus fine de l’environnement local – allant au-delà d’une simple connaissance des pratiques des entreprises locales – pourrait aider les multinationales à prendre des décisions plus stratégiques en matière de politiques d’adaptation. Par exemple, dans notre contexte, une compréhension plus poussée des normes informelles d’égalitarisme en France serait suffisante pour leur permettre de profiter pleinement de l’adaptation locale (c.-à-d. la mise en place de bonus collectifs). Ces entreprises peuvent investir du temps et de l’énergie à comprendre et respecter les conditions informelles (c.-à-d. la préservation d’un environnement égalitaire uni et cohérent), sans que cela n’entraîne de problèmes insolubles avec le siège social.
Pour d’autres multinationales, originaires de pays dont les normes culturelles sont profondément opposées aux normes égalitaires de la France, une stratégie alternative pourrait être bénéfique. Il s’agirait, par exemple, de trouver de nouvelles options de rémunération des employés qui viendraient en remplacement des pratiques locales et seraient différentes, tout en étant acceptables.
Si vous êtes un(e) manager ou un(e) professionnel(le) des RH dans une filiale ou une multinationale étrangère, vous serez peut-être intéressé(e) par la lecture de l’article intégral ici.
Mots-clés : bonus collectifs, égalitarisme, normes informelles, désavantage d’être une société étrangère (liability of foreigness), adaptation locale, multinationales
Bourmault, Nishani, and Jordan Siegel. « Why Local Adaptation Sometimes Fails to be Effective for MNEs: Exploring the Dynamics of Collective Bonuses, Egalitarianism, and Informal Norms. » Journal of Management Studies. Aug 2021. https://doi.org/10.1111/joms.12757