Parcours des réfugiés : quelles solutions pour une intégration socioprofessionnelle en France ?
Publié le 26/06/2024
Parcours des réfugiés : quelles solutions pour une intégration socioprofessionnelle en France ?
Publié le 26/06/2024
Les politiques nationales d’asile influent sur les trajectoires d’adaptation des réfugiés. Quels sont les défis rencontrés par ces personnes dans leur pays d’accueil ? Et comment y font-elles face ? Ces questions sont au cœur d’une étude impliquant Shiva Taghavi, Hédia Zannad et Emmanouela Mandalaki, toutes trois chercheuses à NEOMA.
De nombreux conflits à travers le monde engendrent une augmentation des flux migratoires vers l’Europe. Avec l’exode de réfugiés syriens, afghans et plus récemment ukrainiens, l’accueil et l’acculturation des demandeurs d’asile sont des préoccupations prioritaires pour les pays qui les reçoivent. En 2020, la France était la deuxième nation de l’Union européenne en nombre de demandes d’asile. Sur les 89 400 requêtes exprimées, 12% ont été accordées. Mais comment ces expatriés font-ils face aux défis multiples posés par leur réinstallation ?
Les chercheuses de NEOMA se sont entretenues avec 19 réfugiés en France afin de comprendre leur trajectoire socioprofessionnelle. Ces dernières sont marquées par des évolutions de carrière et des changements de statut social. Elles aident à comprendre comment les réfugiés s’insèrent dans la société et comment les inégalités sociales se reproduisent ou se transforment. Cette recherche porte un intérêt particulier au remaniement identitaire des personnes exilées, selon leur façon de se percevoir et l’image qu’elles souhaitent se donner dans leur nouvel environnement. Autrement dit, leur nouveau « statut social ».
Les résultats s’accordent sur le fait que les réfugiés souffrent d’une réduction radicale de possibilités de carrière dans leur pays d’accueil. Ils peuvent aussi faire l’objet de discriminations économiques et sociopolitiques pendant de longues années après leur arrivée. En ce qui concerne leur intégration, le cadre français encourage l’adhésion aux valeurs de la République – liberté, égalité, fraternité – et le respect de la laïcité, plutôt que le maintien de la culture d’origine des immigrés.
L’étude montre que les réfugiés utilisent diverses stratégies de navigation sociale pour relever les défis auxquels ils sont confrontés, y compris la discrimination, et surmonter d’autres obstacles. Les obstacles sont administratifs : difficulté à obtenir le statut de réfugié, à ouvrir un compte en banque ou encore, à louer un logement. Ils sont aussi culturels et linguistiques, ce qui limite l’accès des réfugiés à des emplois qualifiés, même s’ils ont des diplômes. En réponse, l’étude distingue trois trajectoires, qu’elle qualifie « d’ajustement », « d’amélioration » et de « détachement ». Celles-ci dépendent de la façon dont les expatriés gèrent les difficultés et développent un sentiment d’appartenance à la société d’accueil.
Par exemple, les réfugiés suivant une trajectoire « d’ajustement » favorisent l’acculturation par une forte affiliation à la culture locale et en minimisant leur statut ethnique. Ils mettent l’accent sur leurs compétences professionnelles pour minimiser la discrimination. L’étiquette de réfugié est alors peu à peu estompée au point d’être « remplacée » par une identité professionnelle, qui a davantage d’importance, rappelant que les réfugiés sont avant tout des individus et des professionnels. Les réfugiés qui suivent la trajectoire d’amélioration, cependant, tirent parti de leur statut de réfugié pour construire une identité socioprofessionnelle plus inclusive, principalement en s’engageant dans des parcours d’entrepreneuriat.
Au contraire, les réfugiés qui suivent une trajectoire de « détachement » se sentent souvent discriminés par les citoyens ou les employeurs français. Cependant, ils n’essaient pas de prouver l’inadéquation des stéréotypes négatifs dont ils font l’objet. Certains d’entre eux s’orientent alors vers des secteurs qui ne correspondent pas à leurs qualifications et ont tendance à exercer des emplois précaires exigeant moins de compétences sociales et culturelles.
Il convient de noter que ces trajectoires ne sont pas fixes et que les individus peuvent passer de l’une à l’autre au fil du temps.
Ces trajectoires ne sont pas figées dans le temps. Les réfugiés peuvent basculer de l’une à l’autre de manière dynamique. Comment ? Les chercheuses notent que lorsque les personnes commencent à donner un sens « positif » à leur exil, elles se rapprochent des trajectoires d’ajustement ou d’amélioration. Ce processus est facilité par la confiance en la société civile. Et surtout par le soutien des organisations non gouvernementales (ONG).
En ce sens, les chercheuses observent que, selon les trajectoires, les réfugiés s’appuient plus ou moins fortement sur les ressources matérielles et immatérielles fournies par les ONG. Ces ressources comprennent des cours de langue et un large éventail d’activités sociales ou éducatives. Plus important encore, les ONG fournissent aux réfugiés des ressources psychologiques telles que l’espoir, l’optimisme et la résilience, afin de les aider à surmonter leur stigmatisation par la société. Ceux qui suivent un parcours d’ajustement et d’amélioration ont davantage recours à ce soutien.
Afin de faciliter l’intégration des réfugiés, les chercheuses affirment que les décideurs politiques et les législateurs devraient aller au-delà des ressources actuellement prodiguées. Elles suggèrent que les politiques d’accueil tiennent compte des besoins spécifiques des réfugiés en matière de ressources professionnelles et de carrière. La société civile pourrait aussi apporter davantage de soutien psychologique et social, par exemple en diversifiant les points de contact dans la communauté d’accueil.
Une meilleure compréhension des trajectoires socioprofessionnelles des réfugiés est pressante, car des tensions politiques accrues accentuent la mobilité internationale. L’émergence à venir de migrations dues au changement climatique renforcera ce besoin.
Taghavi S., Zannad H., & Mandalaki E. (2024). Socio-Professional Trajectories of Refugees in France: An Identity Work Perspective. M@n@gement, 27(1), 57-75. https://doi.org/10.37725/mgmt.2024.7753