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Le Monde de NEOMA

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La santé ou l’économie ?  La crise récente a montré combien il était extrêmement complexe de trancher de manière radicale. D’autant plus que les deux éléments sont imbriqués l’un dans l’autre. Cette question est au cœur de la théorie du paradoxe. Patrick Lê, professeur assistant du Département Hommes et Organisations à NEOMA, imagine des solutions.

Comment gérer un véritable dilemme ? Comment faire face en urgence à une crise sanitaire, tout en respectant une rigueur scientifique ? Comment une entreprise à vocation sociale peut-elle générer du profit ? Comment trouver l’équilibre entre l’exploration de nouveaux biens et services innovants et la rentabilité apportée par l’exploitation des marchés déjà existants ? De telles questions relèvent de la théorie du paradoxe.

« La théorie du paradoxe se concentre sur l’opposition persistante entre deux pôles tout à la fois contradictoires, mais interdépendants, complémentaires, et surtout nécessaires, explique Patrick Lê, Professeur assistant du Département Hommes et Organisations de NEOMA. On ne peut pas favoriser tout l’un ou tout l’autre, on ne peut pas sacrifier l’un pour l’autre, il faut les deux ».

Le professeur de NEOMA a participé à un projet de recherche sur le sujet, et publié dans Journal of Management Inquiry en février 2021 un article co-signé, « A Paradox Approach to Societal Tensions during The Pandemics Crisis ». Aux auteurs de souligner que la tension ne peut jamais être résolue, qu’il n’y a pas de solution ultime, que des solutions provisoires. Qu’il faut protéger le pôle le plus faible, le moins bien considéré, et établir un seuil minimal à défendre. Et qu’il faut répondre par la créativité : « Il ne faut pas voir les deux pôles comme des choses opposées, mais plutôt comme offrant des possibles synergies, résume Patrick Lê. Comme dans la musique : il y a un peu de dissonances, volontaires, mais prises ensemble, ça forme une harmonie. »

Exemples.

 

LE PARADOXE : RIGUEUR / « EXPEDIENCY »

Les tensions entre la rapidité et la rigueur : Printemps 2020, la crise du Covid-19 éclate. Les scientifiques sont sur le pied de guerre pour répondre aux inquiétudes.  « Au début de la pandémie de Covid-19, beaucoup d’articles de mauvaises qualités sont sortis dans les revues spécialisées, rapporte le professeur de NEOMA. C’est ce que l’on a appelé le « paperdemic » ou la « speedscience ». Les études n’avaient pas été faites de façon assez rigoureuse, elles n’avaient pas suivi les protocoles stricts. Il y a bien sûr urgence à soigner la population, et à trouver une solution à une pandémie. Mais la rapidité se fait au détriment de la rigueur. Or les recherches scientifiques sérieuses demandent beaucoup d’essais sur des cohortes d’individus, beaucoup d’analyses, beaucoup d’études répliquées. C’est à ce prix seulement que l’on obtient des résultats rigoureux. Et cela peut prendre plusieurs années. Voire pire  : « Il n’y a pas de limite à l’obtention de la rigueur absolue ».

La solution : Il aurait fallu par exemple, indiquer un seuil de rigueur en dessous duquel il ne fallait pas descendre, ne pas relayer ce type d’études trop rapidement exécutées. Ou créer un système de récompense des publications de qualité pour aider le grand public à faire le tri.

LE PARADOXE : SOCIAL / BUSINESS

Les tensions entre social et business : Au Cambodge, une entreprise offre des emplois à une population défavorisée et rurale. Elle les forme aux métiers de l’informatique. Pourquoi l’informatique ? Parce que le secteur ne demande pas trop d’investissement et parce qu’il a le vent en poupe. Elle doit en même temps générer un chiffre d’affaires. D’ailleurs, sans chiffre d’affaires pas d’emplois. D’un côté, l’entreprise s’adresse à une population rurale, de l’autre il faut des bureaux, des infrastructures, que l’on trouve plus souvent en ville. Où mettre le siège de la société ? D’un côté, l’entreprise emploie des personnes pour leur permettre d’acquérir des compétences, de l’autre elle a besoin d’un minimum de ces compétences pour fonctionner. « Si on résonne de manière purement économique, on retombe sur un modèle classique d’une entreprise qui fait des profits, mais qui n’aide personne, explique Patrick Lê. Et inversement, si l’entreprise s’installe à la campagne, elle fait faillite. Comment créer quelque chose de soutenable ? ».

La solution : « On ne résout jamais les tensions entre l’économique et le social, il faut alterner », reprend le professeur. Cette entreprise est allée trop loin d’un côté, et trop loin de l’autre. Elle s’en est rendu compte avant qu’il ne soit trop tard. Elle a mis en place un système de garde-fou : ils ont intégré dans leur système de gouvernance des personnes à la fois du monde de l’entreprise pure et dure, et des parties prenantes des ONG, ils ont aussi mis en place des indicateurs de performances à la fois business, et d’impact social. Si la balance penche trop d’un côté, chacun peut tirer la sonnette d’alarme, et corriger la tendance.

LE PARADOXE : EXPLORATION / EXPLOITATION

Les tensions entre exploitation et exploration. D’un côté, une entreprise doit toujours être à la page, innover, elle doit proposer des nouveautés, que ce soient des services ou des produits. De l’autre, elle doit tout autant rentabiliser ce temps de recherche et de développement, elle doit produire en masse pour faire des économies d’échelle, générer des profits. « On peut difficilement avoir les deux en même temps, indique Patrick Lê. Ce sont deux pôles fondamentalement opposés, il peut y avoir la tentation de rester sur l’un ou sur l’autre ». Au professeur de prendre pour exemple les hôtels qui n’ont pas vu arriver la vague des AirBnB. « Ils ont investi dans leurs infrastructures, ils ont voulu faire du volume, mais ils n’ont pas été attentifs aux signaux faibles qui annonçaient les changements d’habitude ».

La solution : « La solution peut être d’ordre organisationnel », explique le professeur de NEOMA. Les équipes de R&D veulent faire ce qu’elles aiment faire, innover ; inversement, les exploitants ne voient que les profits d’un produit, et ne sentent pas la nécessité de l’exploration. Peut-être faut-il séparer les deux pôles, soit en alternant dans le temps, l’un puis l’autre. « C’est-à-dire alterner des phases d’innovation et ensuite exploiter ces innovations ; et réinvestir les fonds générés dans l’innovation », détaille Patrick Lê. Soit en créant deux départements, et en s’assurant d’un équilibre des pouvoirs entre ces deux branches. De manière générale, il faut veiller à maintenir un équilibre en toute circonstance. Par exemple, même si la situation semble favorable à l’exploitation, si un service existant marche bien par exemple, il ne faut pas s’endormir sur ses lauriers, et se forcer à considérer l’autre pôle – l’exploration –  et les possibles innovations.

Lire l’article

Sharma, G., Bartunek, J., Buzzanell, P. M., Carmine, S., Endres, C., Etter, M., Fairhurst, G., Hahn, T., Lê, P., Li, X., Pamphile, V., Pradies, C., Putnam, L. L., Rocheville, K., Schad, J., Sheep, M., & Keller, J. (2021). A Paradox Approach to Societal Tensions during the Pandemic Crisis. Journal of Management Inquiry, 30(2), 121–137. https://doi.org/10.1177/1056492620986604