Coopétition et innovation : les managers détiennent la clé du succès
Publié le 26/01/2023
Coopétition et innovation : les managers détiennent la clé du succès
Publié le 26/01/2023
Quand des entreprises concurrentes mettent leurs forces en commun (on parle de « coopétition ») pour innover, elles ne peuvent pas se contenter de partager des compétences ou d’investir ensemble : elles ont aussi besoin de managers « ambidextres », capables de tirer le meilleur parti de ces ressources mutualisées. C’est ce qui ressort d’une étude qui s’appuie sur l’expérience de 300 sociétés industrielles pratiquant la coopétition, par Antony Paulraj, professeur à NEOMA, et ses coauteurs, publiée en septembre 2022 dans la revue International Journal of Operations & Production Management.
Sony, Samsung, Toyota, Microsoft… Ces sociétés mondialement connues pratiquent la « coopétition » pour innover en mutualisant les coûts. Avec des fortunes diverses : Sony et Samsung ont développé ensemble des écrans de téléviseurs LCD de nouvelle génération et investi six milliards de dollars pour les fabriquer. À l’inverse, Microsoft n’a pas réussi à s’imposer sur les moteurs de recherche et la cartographie en ligne, malgré de multiples alliances stratégiques.
La coopétition comporte donc des risques et des incertitudes. Il faut préciser aussi qu’elle n’est pas réservée aux géants industriels : des sociétés de taille plus modeste voire des PME s’y essaient. L’étude publiée par trois chercheurs intéresse à ce titre un large public, d’autant qu’elle s’appuie sur des données de terrain conséquentes : plus de 300 entreprises industrielles de cinq pays (Royaume-Uni, Irlande, Pays-Bas, États-Unis et Canada) ont partagé leur expérience en la matière.
L’investigation a porté sur trois questions :
Les chercheurs ont abordé ces trois thèmes sous l’angle de l’« ambidextrie ». Ce terme désigne à l’origine la capacité à se servir avec la même habileté de la main droite ou de la main gauche. Les experts en coopétition, eux, parlent de relations « ambidextres » entre les entreprises : elles coopèrent tout en restant concurrentes. De même, on désigne sous le terme « d’innovation ambidextre » la recherche en parallèle d’innovations incrémentales (on améliore les produits et process existants) et d’innovations de rupture (on invente de nouveaux produits ou process).
Quant au « management ambidextre », il désigne la capacité d’un manager à mener de front deux activités : exploiter au mieux les ressources dont il dispose – produits, process, compétences, connaissances – et explorer de nouvelles pistes en se formant, en créant des produits ou des process, etc.
Le management ambidextre est précieux dans un contexte de coopétition, quand les managers ont accès à un nombre élargi de ressources et d’opportunités. Les réponses des 300 entreprises consultées vont même plus loin ; elles montrent que le management ambidextre est vital pour réaliser de l’innovation ambidextre.
L’étude, rappelons-le, s’intéressait aussi au rôle des investissements communs et du partage de compétences. Tous deux sont considérés dans la littérature scientifique comme favorables à l’innovation ambidextre. Or, c’est un autre son de cloche qui est venu des retours du terrain.
Certes, ceux-ci confirment que les investissements communs sont bénéfiques : construire des usines ensemble, former les équipes du partenaire, reconfigurer des process crée un terreau propice à l’innovation. Ce terreau sera d’autant mieux fertilisé que les managers ont de réelles capacités d’ambidextrie : savoir optimiser et innover, en parallèle et en permanence.
En revanche, le partage de compétences ne convainc pas les entreprises interrogées. Selon elles, il pourrait même être contre-productif ! Pourquoi ? Parce que le plus souvent, ces compétences sont trop génériques, pas assez pointues pour innover. Elles ont tout au plus le mérite de renforcer les liens entre coopétiteurs.
Là encore, des managers ambidextres peuvent contrebalancer – en partie – cet effet négatif, en intensifiant les échanges avec le partenaire pour trouver des complémentarités. Les auteurs suggèrent aussi une autre piste : partager des compétences plus spécialisées, voire des technologies protégées par des brevets. Sony et Samsung avaient fait ce choix, ce qui explique peut-être leurs succès communs ; en quelque sorte, on reçoit en proportion de ce que l’on apporte.
Les entreprises qui pratiquent la coopétition pour innover tireront trois enseignements de cette étude.
Chandrasekararao Seepana, Antony Paulraj et Palie Smart, Relational resources for innovation ambidexterity within coopetitive relationships: the contingent role of managerial ambidexterity, International Journal of Operations & Production Management – Vol 42, n°12, pp 1969-1994, 2022. DOI 10.1108/IJOPM-10-2021-0666