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Le Monde de NEOMA

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Limites des stratégies de « naturalisation » de l’offre

Depuis quelques années, le caractère naturel des produits s’est imposé comme un critère de choix fondamental dans l’achat des consommateurs, en particulier sur les marchés alimentaires, cosmétiques et de santé. Ainsi, les industriels opérant sur ces marchés ont mis en place des démarches dites de « clean label » qui visent, afin de pouvoir utiliser des allégations relatives à la naturalité à leurs produits (ex : « sans colorants/additifs », « 100% naturel », « Agriculture Biologique » …) à simplifier leurs méthodes de fabrication et à éliminer de leurs produits des substances artificielles qu’elles soient ou non controversées (Asioli et al., 2017). 

Pourtant, aussi contre-intuitif que cela puisse paraitre, ce phénomène de « naturalisation » de l’offre ne conduit pas nécessairement les consommateurs à adopter des comportements plus responsables. Par exemple, ces derniers ont tendance à rejeter des aliments élaborés à l’aide de technologies modernes (ex : OGM, viande cultivée), qui pourraient pourtant permettre de contribuer à résoudre des problèmes environnementaux, car ils les jugent contraires aux lois de la nature (Inbar, Phelps, & Rozin, 2020). A l’inverse, ils ont tendance à juger plus naturels des aliments contenant des ingrédients d’origine végétale (Rozin, Fischler, & Shields-Argelès, 2012) alors même que certains d’entre eux sont ultra-transformés et potentiellement nocifs pour leur santé (Drewnowski, 2021).

Ceci peut s’expliquer par les processus psychologiques sous-jacents à la perception de la naturalité adoptés par les consommateurs et sur lesquels s’appuient les industriels pour élaborer leurs stratégies d’innovation. En effet, la naturalité qualifie un ensemble complexe d’idées qui renvoie à ce qui provient de la nature, qui n’a pas été transformé et qui ne contient pas d’additifs (Roman, Sánchez-Siles, & Siegrist, 2017). En outre, la consommation de produits naturels est guidée par des valeurs morales selon lesquelles les produits naturels sont supérieurs aux produits artificiels (Rozin et al., 2004). Cette moralisation du naturel amène les consommateurs à raisonner de façon plus affective que rationnelle.

Nos travaux questionnent les facteurs influençant l’attrait pour le naturel et les pratiques des industriels qui en résultent afin d’identifier les conditions dans lesquelles il peut constituer soit un levier ou un obstacle à l’adoption de comportements de consommation plus responsables.

Dr Pierrick Gomez, professeur de Marketing à NEOMA (comportement du consommateur, études marketing, innovation alimentaire).

Références

Asioli, D., Aschemann-Witzel, J., Caputo, V., Vecchio, R., Annunziata, A., Næs, T., & Varela, P. (2017). Making sense of the “clean label” trends: A review of consumer food choice behavior and discussion of industry implications. Food Research International, 99, 58-71.

Drewnowski, A. (2021). Perspective: Identifying ultra-processed plant-based milk alternatives in the USDA branded food products database. Advances in Nutrition, 12(6), 2068-2075.

Inbar, Y., Phelps, J., & Rozin, P. (2020). Recency negativity: Newer food crops are evaluated less favorably. Appetite, 154, 104754.

Roman, S., Sánchez-Siles, L. M., & Siegrist, M. (2017). The importance of food naturalness for consumers: Results of a systematic review. Trends in Food Science & Technology, 67, 44-57.

Rozin, P., Fischler, C., & Shields-Argelès, C. (2012). European and American perspectives on the meaning of natural. Appetite, 59(2), 448-455.

Rozin, P., Spranca, M., Krieger, Z., Neuhaus, R., Surillo, D., Swerdlin, A., & Wood, K. (2004). Preference for natural: instrumental and ideational/moral motivations, and the contrast between foods and medicines. Appetite, 43(2), 147-154.